2ème Numéro de l’Aiguillon Télétaffe
Télétravail généralisé, enseignement à distance, plateforme numérique, dématérialisation galopante, la vie derrière les écrans, ces outils qui déréalisent, qui renvoient chacunE d’entre nous à sa condition et souvent à sa solitude … Non le monde numérique n’est pas l’eldorado, ni le nirvana que les médias et une certaine élite nous promettent !
Dans ce second numéro de l’Aiguillon télétaffe, nous allons tenter de cerner ce que cette vie à distance, tout en étant hyper connectéEs, nous réserve.
La distanciation sociale… tristes tropiques
Une enquête[1] menée mi-décembre 2020 auprès d’un échantillon de 1502 personnes âgées de 18 ans et plus révèle une progression de 18% du sentiment de solitude, soit une hausse de cinq points par rapport au niveau mesuré avant la crise du Covid.
Désormais, deux tiers des Français estiment que la compagnie des autres leur manquent parfois, soit une hausse de 15 points par rapport à 2018. Les Français sont aussi significativement plus nombreux à indiquer qu’avoir des personnes autour d’eux leur manque (48%, + 18 points) ou à éprouver un sentiment général de vide (27%, + 9 points).
Si la solitude est avant tout associée dans l’opinion à la vieillesse, dans les faits ceux sont les plus jeunes qui en souffrent : 27% des 18-24 ans se sentent toujours ou souvent seuls (contre 10% pour les 65-74 ans).
Alors que les universités assurent leurs cours à distance depuis plusieurs mois, les étudiants apparaissent comme étant un public particulièrement sujet à la solitude : 28% indiquent se sentir toujours ou souvent seuls et les ¾ d’entre eux font l’expérience de la solitude souvent ou parfois (75%, + 26 points par rapport à la population française). Ajouté à cela une précarité de plus en plus prégnante pour ceux qui n’ont pas la chance de trouver refuge chez leurs parents ou proches et le mépris de la classe dirigeante qui s’obstine à les considérer comme des êtres de besoin en leur accordant une aumône toute relative au lieu d’un salaire étudiant[2], il arrive que certain tentent ou réussissent le geste ultime.
Ce que les indicateurs de cette enquête mettent en évidence c’est une corrélation entre sentiment de solitude et santé mentale dégradée : les personnes se sentant seules se déclarent plus malheureuses, elles sont plus enclines à consommer des médicaments psychotropes (43% en ont utilisé au cours de l’année écoulée) et sont plus enclines à avoir des pensées suicidaires (63% en ont fait l’expérience au cours de leur vie contre 31% dans la population française).
Il est également constaté partout en France un afflux, depuis le mois d’octobre, d’enfants préadolescents et adolescents présentant des troubles anxieux, des troubles de l’humeur, voire des dépressions graves, accompagnées d’idées ou de gestes suicidaires[3].
[1] Source : cliquer ICI
[2] Source : cliquer ICI
[3] Source : Un an plus tard, que sait-on de l’infection des enfants par le coronavirus SARS-CoV-2 ? : cliquer ICI
La sociologue du travail Danièle LINHART résume dans un récent entretien avec la magazine Regards ce que représente le travail, comment nos conditions de travail nous malmènent et ce que promet la « société numérique » appliquée au travail.
Mais au fait… Que représente le travail pour nous ?
Contrairement à toutes les idées reçues et largement diffusées par la classe dominante, en France la place du travail est essentielle.
Et de quoi a-t-on besoin pour être bien au travail ?
Alors, finalement c’est quoi le problème avec le travail ?
Individualisation,impuissance,lien de subordination infantilisant, le travail nous précarise.
Le télétravail est-il vraiment le remède ?
Déjà en 2017, un rapport des Nations Unies au titre évocateur : Working anytime, anywhere (cliquer ICI) mettait en évidence que 41% des télétravailleurs remontaient un niveau de stress élevé. Comparativement, le pourcentage était de 25% pour les salariés sur un lieu de travail…
Parmi les facteurs de risques souvent mis en avant par les différentes études[1] :
- L’abandon de la spatialisation. Le télétravail réduit la distance. Les bornes géographiques sont estompées mais cela peut faire aussi varier les bornes temporelles ;
- La technologie qui rend le salarié «always on» : accessible en permanence[2]. La France a introduit le droit à la déconnexion, mais les nouvelles technologies multiplient les canaux et il n’est pas rare que le travail s’invite dans la sphère personnelle et inversement ;
- La relation virtuelle par l’entremise de la pratique numérique du travail (mails, messagerie instantanée, visioconférence) aggrave les tensions de par l’absence d’explication « entre quatre yeux »[3];
- Les images, le recours à la visioconférence a explosé, micros coupés par l’organisateur, perte de la communication non verbale, implicite, de la tonalité, tout cela crée des manques d’intersubjectivité et fatigue bien plus nerveusement[4];
- Un insidieux recul du droit des femmes et de l’égalité homme-femme provoqué par le retour forcé à la maison, aggravant ainsi le patriarcat[5]. Les femmes ont 1,5 fois plus de risque d’être en détresse psychologique, en particulier lorsqu’elles travaillent hors des horaires habituels[6].
Mais aussi…
[1] Article : Le télétravail est-il « durable » ? Les enseignements du confinement : cliquer ICI
2] Face au scepticisme des employeurs, les télétravailleurs se rendent plus disponibles pour signaler leur engagement : cliquer ICI
[3] Les micro-agressions sont devenues le quotidien des télétravailleurs : cliquer ICI
[4] Pourquoi la visioconférence met-elle notre cerveau K.-O. (et comment riposter) ? : cliquer ICI
[5] Comment le télétravail emprisonne les femmes : cliquer ICI
et Pour les femmes, la flexibilité des horaires de travail se paye au prix fort : cliquer ICI
[6] Source : Liaisons sociales Magazine, no. 219 À la une, lundi 1 février 2021 1613 mots, p. 12 Gare aux risques psychosociaux Par Catherine Abou El Khair
Cet isolement est ce vide, les télétravailleurs covid le perçoivent puisque l’espace de travail qui reste le plus adapté pour le post-confinement est le bureau traditionnel.
Objectivement, que perd-t-on avec le télétravail ?
Et pour le patron, c’est pas tout bénef’ ?
Bah, c’est mitigé… Le télétravail oui, mais pas trop !
En conclusion…
La situation COVIDienne, aggravée du fait de son traitement médiatique et politique anxiogène, ne créé pas un environnement serein pour aborder le sujet du télétravail en pleine conscience.
Il est encore avant tout perçu comme une manière de se protéger sur le plan sanitaire. Pourtant il peut aussi, à juste titre, en terme de liberté, être considéré comme une assignation à résidence.
Dans tous les cas, le télétravail modifie considérablement les conditions d’exercice du travail. Il fait voler en éclat les repères et les limites de temps (amplitude horaire, vie professionnelle/vie privée), il isole et contribue à l’individualisation galopante, met à mal les collectifs de travail.
La période qui s’est ouverte en mars 2020 avec le premier confinement et avec la généralisation, pour une partie des salariéEs, du télétravail, a révélé de nombreuses questions, parfois sous-jacentes s’agissant du travail et de la place de celui-ci dans nos vies.
- Qui sont les salariéEs essentielLEs ?
- Pourquoi travaillons-nous ?
- Le travail doit-il occuper toute cette place ?
- Pourquoi le travail fait-il souffrir ?
- Ne faut-il pas le partager ?
Le télétravail constitue donc parfois une mauvaise réponse à des questions légitimes.
Au fond, est-ce que c’est télétravailler que nous voulons vraiment ? Ou voulons-nous tout simplement passer moins de temps au travail ?
Pour aller au-delà : cliquer ICI