Un an après les annonces du président du Département, l’état de la Protection de l’Enfance dans le Nord s’aggrave !
Il y a tout juste un an, les professionnelLEs de la protection de l’Enfance (travailleurs sociaux du Conseil Départemental du Nord), entamaient des actions de mobilisation (boycott des audiences au Tribunal des enfants) et de protection (droits de retrait) pour alerter sur l’état catastrophique de la prévention et de la protection de l’enfance dans le Nord.
La publication et le retentissement de la Tribune d’alerte sur l’état catastrophique de la protection de l’enfance rédigé par nos organisations syndicales a contribué à l’auto-saisine de Claire HÉDON, la Défenseur des Droits, pour évaluer la situation dans notre département.
De part ses choix politiques et budgétaires qu’il mène depuis des années, la responsabilité du Conseil Départemental est clairement identifiée et pointée. En réaction, Christian POIRET, président du Conseil Départemental du Nord a dû faire des annonces par le biais d’un « plan d’urgence » annonçant la recréation de 450 places d’accueil pour les enfants au 31 décembre 2022 et l’augmentation de 10% du Budget 2023 de l’enfance-famille-santé.
Avec tout ça, il doit être évident que le Nord est non seulement sur la bonne voie mais doit pouvoir représenter un modèle pour tous les autres départements !!
Et pourtant… sur le terrain, la situation concrète des enfants à protéger ou accueillis à l’Aide Sociale à l’Enfance, ainsi que des professionnelLEs qui les entourent (magistratEs, travailleurs sociaux et médico-sociaux, avocatEs) continue de se dégrader.
Les effets d’annonces et les actes ont du mal à se conjuguer !
Selon les chiffres transmis par la Direction Générale adjointe Enfance Famille Santé du Conseil Départemental, il y a dans le Nord, 11.730 enfants faisant l’objet d’une mesure de placement (administrative ou judiciaire) dont 10.300 d’entre eux bénéficient d’une décision judiciaire de placement par un Juge des Enfants.
Pour répondre à son obligation de protection, le Département annonce disposer à ce jour de 5.600 places en famille d’accueil (assistantes familiales) et de 4430 places en établissements (foyers, maisons éducatives à caractère social), soit au total une capacité d’accueil de 10.030… Il manque donc, sur le papier, 1.730 places !
De notre côté, nous évaluons à plus d’1 millier, le nombre d’enfants aujourd’hui non placés ou accueillis de manière précaire (ballottés d’un lieu d’accueil à un autre, alternance de lieux de placements divers avec retour en famille sur des droits de visites et d’hébergement élargis, en accueil chez des 1/3 dignes de confiance par défaut, etc.) pour qui le Tribunal pour Enfants a ordonné une mesure de protection.
Toujours selon le Département, depuis 2021, le nombre d’enfants à protéger suite à une décision du Tribunal pour Enfants a augmenté de 10% et aujourd’hui, plus de la moitié des placements judiciaires en urgence (OPP ordonnées par le Parquet des mineurs) concerne des enfants de moins de 6 ans avec une énorme proportion des tout petits (- de 3ans).
Et ça a donné quoi le plan de C. POIRET avec ses 10 mesures d’urgence ?
Sur les 450 places promises au 31 décembre 2022, au 30 juin 2023, seulement 180 places supplémentaires ont été recrées (58 en famille d’accueil et 122 en établissements)… Laborieux !!!
De plus, alors qu’il avait été annoncé un allégement de la charge de travail des éducateurRICEs de l’Aide Sociale à l’Enfance, limitant le nombre d’enfant par professionnelLES à 30 maximum… beaucoup trop de collègues accompagnent encore plus de 35 enfants. Du temps déjà embolisé par la recherche impossible de places qui n’existent pas et donc une disponibilité limitée auprès des enfants et de leur famille.
Et derrière les chiffres… il y a des enfants !
- Chloé, 13 ans, après une fugue se retrouve en pleine nuit au commissariat. Elle est installée à l’accueil sur un banc au milieu des autres usagers. Son éducatrice la récupère dans la matinée. Elle attendra plus de 7 heures dans la salle d’attente de la Maison Nord Solidarité. À tour de rôle, les différents membres de l’équipe se chargent de l’occuper, de la nourrir. En fin de journée, à la fermeture du service, elle est montée dans les étages pour qu’en début de soirée, à 19h, sans solution, on lui demande si elle connait une assistante familiale susceptible de l’accueillir. Chloé répond : « Donnez moi un lit de camp, je suis prête à dormir ici. Ça ira ! ». Après plusieurs heures de recherches, une famille d’accueil consent à l’accueillir… mais jusqu’au 8 juillet… où il faudra tout recommencer.
- Théo, 16 ans, a passé près de 10h dans les bureaux du service dans l’attente d’une place. À 18h, les référents de l’ASE sont envoyés avec lui à plus de 100 km à Monceau St Vaast pour négocier 2 nuits dans un foyer. Le jeune exprime son inquiétude et son refus de rejoindre un lieu qu’il ne connait pas du tout, perdant tous ces repères. Finalement à 19h30, l’équipe arrive dans le foyer avec Théo. L’établissement est dans un état de décrépitude avancé. Théo devra passer la nuit dans une salle de ping pong sur un lit de camp sans fenêtre puisque occultée par une plaque de bois. Après les 2 jours d’accueil… il faudra tout recommencer.
- Enzo, 11 ans, vient de subir 10 lieux de placements en 1 mois. Toutes les semaines il se retrouve dans les locaux de la Maison Nord Solidarité.
- Mario, 17 ans, accueilli dans la même famille d’accueil depuis l’âge de 10 ans avec qui il a créé un lien d’attachement. Il est déficient et malgré la fin annoncé du placement lié au départ à la retraite de son assistante familiale au 1er juillet, aucune anticipation, ni préparation n’ont été possible puisqu’aucune place n’est disponible. Du jour au lendemain, le service récupère Mario sans savoir où il sera accueilli le soir même.
- Farid, 11 ans, va très mal du fait de l’instabilité de sa situation familiale. À aucun moment le Département lui permet de se poser malgré la décision de protection prononcée par le Juge des Enfants dans le cadre d’un placement. Il a été quelques jours hospitalisé en psychiatrie, puis en pédopsychiatrie. Il a été « placé » dans un « gîte de France » avec 2 agents de sécurité en guise d’éducateurs. Puis en camping dans le valenciennois, accompagné par du personnel intérimaire sans véhicule et sans téléphone… pour enfin finir dans un hôtel près de la gare de Valenciennes.
- Corentin, 16 ans, est dans un hôtel qualifié « hôtel de passes » et doit choisir dans sa « formule hôtelière »entre le repas du midi et le repas du soir !!!
- Célia, 13 ans sans solution d’accueil est placée dans un appartement en « semi autonomie » à Armentières… c’est à dire sans présence permanente d’adultes et accompagnement éducatif.
- Louise, un bébé de 9 mois est maintenu en hospitalisation faute de place d’accueil. Elle passe ses premiers mois d’existence dans un environnement sanitaire sans figure d’attachement… les conséquences à moyen long terme sur son développement sont d’ores et déjà connue et inévitables.
Ces exemple sont emblématiques, ils sont légions.
Les Juges des Enfants affirment que ces enfants présentent déjà des troubles de l’attachement qui sont aggravés par la multiplicité des lieux d’accueil précaires.
Ils constatent une réalité pratique en totale distorsion avec les annonces du Conseil Départemental du Nord. Maintenir des enfants à la maison alors qu’une mesure de protection par un placement est prononcée est un non-sens.
S’agissant des mesures éducatives à domicile (AEMO-R) les temps d’attente sont encore très long. Aucune évolution positive n’a été observée durant l’année écoulée.
Pour les avocatEs du SAF, leur place est d’agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant, notion inscrite dans tous les textes internationaux. Pour les familles qu’ils et elles représentent, la non exécution des mesures d’assistance éducative, de protection, amène une profonde perte de sens.
Les professionnelLEs de la protection de l’enfance restent mobiliséEs !
L’ensemble des professionneLES mobilisés, juges, avocats et travailleurs sociaux de l’Aide Sociale à l’Enfance sont lanceurs d’alerte.
Leur action vise à mettre la loupe sur ce qui est tenté d’être masqué par les coups de com’ du Département du Nord.
Ils et elles seront entenduEs tout prochainement par la Défenseur des Droits dans le cadre de son enquête.
La décoration toute récente de M. TONNERRE, vice présidente en charge de l’Enfance et de la Famille de l’Ordre National du Mérite et la nomination de A. DEVREESE, directrice générale adjointe Enfance Famille Santé du Département, comme présidente du Conseil National de la Protection de l’Enfance sont des contre-feux aux résultats de leur (in)action politique.